L’autre jour, j’ai reçu un message d’une cliente que j’estime beaucoup. Elle me disait trouver étrange, presque choquant, de pouvoir acheter un pain artisanal et bio à l’aide de « Coins » sponsorisés par une caisse maladie dont les cadres touchent des salaires extravagants, alors même que les primes augmentent sans cesse.
« Quel monde absurde », ajoutait-elle.
Elle a raison. C’est absurde, et profondément ironique.
Une caisse maladie qui subventionne du pain au levain pour « promouvoir la santé », alors que tout son modèle repose sur la gestion de la maladie.
Notre système se dit « de santé », mais il fonctionne avant tout comme une industrie de la maladie. Il soigne plus qu’il ne prévient parce que la maladie rapporte davantage que la santé. Il finance la publicité plutôt que la culture du bien-vivre, et pendant qu’on parle de bien-être les primes s’envolent, la société s’épuise.
Dans le même mouvement, on entretient l’illusion qu’il existe encore des milliers d’artisans qui produisent des aliments sains, enracinés et justes. C’est faux ou presque, les vrais artisans sont en voie d’extinction. Ils ont été broyés par un système qui érige la performance en vertu par la vitesse, la standardisation, la dépendance aux volumes et aux machines. Beaucoup sont aujourd’hui de petits industriels qui s’ignorent, pris dans des contraintes économiques qui les empêchent de rester libres. Ces mêmes contraintes finissent toujours par se traduire en perte d’emplois stables, perte de savoir-faire, perte de qualité, surtout nutritionnelle.
Ce sera sans doute le sujet d’un prochain billet, car il mérite à lui seul qu’on s’y arrête.
L’environnement en offre l’exemple le plus criant. On extrait, on concentre, on mondialise, on détruit des écosystèmes entiers pour fabriquer et transporter à moindre coût, puis on s’indigne. On finance la dépollution, on invente de nouvelles technologies pour compenser les dégâts, et chaque réparation devient une source de croissance supplémentaire. Le PIB s’en porte à merveille mais le monde vivant, lui, s’effondre.
Alors oui, lorsqu’une caisse maladie propose de « soutenir la santé » en subventionnant un peu de pain au levain, le paradoxe me fait sourire mais pas seulement. J’y vois une occasion, minuscule mais réelle, de ramener un peu de cet argent du côté du tangible. De le faire revenir vers la terre, le levain, les mains qui travaillent. Si ce qui est prélevé sur les citoyens captifs peut, ne serait-ce qu’un instant, revenir au vivant, alors autant que ce soit par un aliment aussi symbolique que le pain. Parce que la vraie santé commence bien avant la maladie. Elle naît dans ce qu’on mange, dans ce qu’on respire, dans le soin que l’on porte au monde autour de soi. Tant que nous continuerons à appeler « santé » un système qui vit de la maladie, et « croissance » un modèle qui se nourrit de destruction, il sera difficile de guérir collectivement.
Peut-être qu’en revenant à la simplicité d’un pain au levain, on retrouve un peu de cette vérité première : celle d’un vivant qui se nourrit du vivant, sans promesse, sans illusion, et sans marketing (quoi que…). Ce billet inaugure la série « Bon à savoir », un espace de réflexion sur ce qui relie l’alimentation, la santé et l’environnement.
On y parlera de pain, bien sûr, mais aussi d’économie, de politique, de technique, de ce que la modernité a perdu en chemin et de ce que nous pouvons encore reconstruire à échelle humaine.
Chaque texte partira d’une expérience vécue, d’un fait concret, pour interroger ce qu’il dit de notre époque et de la manière dont nous choisissons (ou pas) de vivre.