l’histoire de du grain à moudre / La famille
Nous sommes Cédric et Sara, établis depuis 2012 à Gletterens, au cœur de la Broye fribourgeoise. Avec nos trois enfants, nous avons choisi de vivre à la campagne pour renouer avec un rythme de vie qui respecte la terre et ceux qui la cultivent.
Mon parcours d’ingénieur en gestion de la nature et d’architecte paysagiste, ainsi que l’expérience de Sara comme infirmière et massothérapeute, nous ont amenés à placer la santé, l’attention à l’autre et l’ancrage au territoire au centre de notre vie. La maison que nous avons rénovée, ancien dépôt de sel, boulangerie, fumoir et épicerie, symbolise cette continuité entre passé et avenir.
Notre aventure du pain est née d’un simple essai domestique. Elle est vite devenue une quête exigeante, faite de beaucoup de travail et de sacrifices. Mais cet effort n’est pas vain, c’est le cadeau que nous voulons offrir à nos enfants et à leur génération: préserver le vivant, transmettre le goût de l’authentique, et leur enseigner qu’un aliment peut nourrir bien plus que le corps.
Aujourd’hui, le système économique n’est pas orienté par ceux qui produisent l’essentiel. Ni par les agriculteurs, ni par les transformateurs artisans. Il est dirigé par ceux qui captent le pouvoir : la finance, les grandes entreprises, certaines institutions, et ce système s’auto-entretient en fabriquant ses propres rails : l’éducation, les normes, les incitations salariales, la culture de consommation.
Le résultat est absurde. Les activités vitales comme nourrir, soigner concrètement, fabriquer localement sont dévalorisés et précarisés. Pendant ce temps, les métiers d’optimisation, de gestion ou de spéculation sont survalorisés. Nous vivons donc dans un monde où il est plus facile de bien gagner sa vie en travaillant derrière un écran qu’en nourrissant ou en soignant ses voisins. Ce déséquilibre est intenable, et chacun le sait au fond de lui.
Heureusement le système n’est pas un bloc homogène, il est traversé de contradictions. Les mêmes États qui subventionnent l’agro-industrie financent parfois des projets locaux, les mêmes consommateurs qui remplissent leur caddie au supermarché viennent chercher du pain ou de la farine ici, en direct. Et même à l’intérieur des institutions, il y a des personnes qui cherchent d’autres voies. des enseignants, des journalistes, des élus locaux.
Alors, que faire ?
Nous, producteurs, artisans et consommateurs exigeants, nous ne changerons pas le système d’un coup. Mais nous pouvons créer des îlots de résilience. Des lieux où l’on montre que produire et consommer autrement est possible, ici et maintenant. Ces îlots sont fragiles, petits, mais ils sont alignés avec les lois physiques et biologiques. Et dans un monde qui dépasse ses limites, ce sont eux qui compteront demain.
Voilà pourquoi nous faisons ce travail. Non pas parce qu’il est facile, ni parce qu’il rapporte, mais parce qu’il est essentiel. Et nous croyons qu’ensemble, en multipliant ces îlots, nous pouvons tracer une autre voie.
Dans un monde dominé par l’industrialisation et la perte de repères alimentaires, nous faisons notre part pour montrer qu’une autre voie existe. Celle de la résilience locale, de la simplicité volontaire et du partage.
Le moulin
Dans la grange attenante à notre maison se trouve le cœur de notre activité : le moulin.
C’est un moulin Astrié, imaginé par deux frères ingénieurs et mécaniciens qui ont choisi de partager leur invention sans la breveter. Son principe est unique : séparer délicatement le son tout en préservant les parties les plus vivantes du grain, le germe et l’assise protéique, pour obtenir une farine riche, peu oxydée et d’une qualité boulangère exceptionnelle.
Ce modèle a été construit en Bretagne par Samuel Poilâne, physicien de formation devenu paysan, qui l’a perfectionné pendant plus de quinze ans avant d’obtenir l’approbation des frères Astrié.
Rien n’est perdu : le son, sous-produit du moulin, nourrit le bétail chez l’un de mes fournisseurs, ou enrichit le compost de notre potager. Ainsi, chaque partie du grain retrouve une place utile et participe à un cycle vertueux.

Le Pain
Le pain est plus qu’un aliment, c’est un symbole de partage. Et ce partage commence bien avant qu’il arrive sur la table. Avec le levain naturel, je choisis de confier une part de la fabrication aux microorganismes. Ils travaillent avec moi, selon leurs rythmes, parfois imprévisibles. Faire du pain, c’est donc accepter de collaborer avec la vie, dans toute sa complexité.
Je refuse les additifs, les raccourcis et les accélérations artificielles. Ici, la pâte fermente lentement, à température ambiante. Ce temps long permet aux arômes de se développer, aux nutriments d’être mieux assimilés, et au pain de devenir un vrai aliment, nourrissant et digeste.
L’esthétique n’est pas toujours parfaite, et c’est presque volontaire. Je préfère un pain vivant, pauvre en sel mais riche en saveurs, plutôt qu’un produit calibré et sans âme.
Ainsi, chaque miche porte une part d’effort, une part de nature et une part de confiance. Le pain devient alors ce qu’il a toujours été, un bien commun, à partager entre ceux qui le font et ceux qui le mangent.

Remerciements
« du grain à moudre » n’existerait pas sans le soutien indéfectible des clients fidèles de la première heure, que je ne citerai pas mais qui se reconnaitront, de Sara et de mes enfants qui subissent les essais les moins glorieux, et sans les amis généreux qui, chacun à leur manière, ont apporté leurs moyens, leur patience, leur exemplarité ou leurs compétences.
Il y a aussi toutes ces rencontres avec des paysans-meuniers, parfois boulangers eux-mêmes, et quelques boulangers de métier qui osent travailler avec des méthodes moins « maîtrisables », qu’ils n’ont pas toujours apprises dans leur formation. Chacune de ces rencontres compte, et chacune contribue à un apprentissage qui continue de m’étonner jour après jour.